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La « chasse aux sorcières » des temps modernes

La « chasse aux sorcières » des temps modernes

 

La « chasse aux sorcières », qu’est-ce c’est ?

Pour les non férus d’histoire, « la chasse aux sorcières » est un phénomène social et juridique survenu sur un pan curieux et intéressant de l’histoire de l’Europe au moyen âge.

Courant du 16 éme et 17 ème siècles, certains pays de l’Europe comme l’Allemagne, l’Angleterre, le Danemark et la France, vivaient au rythme d’une série de procès intentés par l’église à des citoyens pour le chef d’accusation de sorcellerie.

Cette campagne de persécution avait été intentée par les inquisiteurs de l’église et s’accomplissait dans le contexte d’une culture dominée par la peur et poussée à la délation, entrainant l’exécutions de plus de 60 000 victimes sur le bucher, exécutions principalement établies sur des ouï-dire, des aveux sous des tortures inhumaines et sans preuves directes des faits imputés.

Il est vrai néanmoins que bien avant cette campagne d’inquisition de l’église, il arrivait souvent que le peuple dans ces pays procède simplement à une vengeance collective, sous forme de lynchage populaire d’une personne accusée de leurs maux. Il suffisait parfois qu’une personne tombe malade, qu’une grange brûle ou qu’une vache meure sans cause apparente, pour que la communauté villageoise désigne un coupable que son comportement ou sa marginalité a rendu suspect, la foule le tuait ensuite sommairement par bastonnade, noyade ou pendaison.

Aux mains de l’église chrétienne, ce lynchage du bouc émissaire avait commencé au départ pour liquider les opposants au pape Jean XXII, qui avaient tenté de l’empoisonner et l’envouter, il s’est ensuite étendu au peuple prenant pour cible les personnes marginalisées, de préférence les étrangers, les juifs, les femmes âgées, les personnes vivant à l’écart et tout individu qui semblait suspect de par son apparence ou son comportement.

Les témoins affluaient en masse pour désigner le coupable et attester d’avoir assisté aux maléfices qu’il a jetés. Les raisons qui les poussaient à la délation étaient diverses : la peur, la mythomanie, l’appât du gain ou le désir d’assouvir des haines personnelles.

Les délateurs et les inquisiteurs étaient rétribués sur le nombre d’inculpés, il en résultait un nombre d’accusés frisant le ridicule : Sur l’un des procès, un nombre de 12 000 personnes avaient été dénoncées pour avoir participé à une cérémonie de sorcières « Sabbat », sur un autre procès, deux enfants de 10 et 12 avaient accusé leur propre mère pour « avoir du pain ».

Les temps ont changé depuis en Europe et dans les pays occidentaux, et pourtant le lynchage a persisté sous différentes formes et le bucher utilisé jadis s’est dématérialisé pour « bruler » autrement les victimes de l’inquisition populaire.

Nombre de lynchages publics tout au long de l’histoire moderne ont résulté de la propagation de rumeurs, faisant de nombreuses victimes réelles, menant les individus fragiles à l’assassinat par la main d’autrui, au suicide ou à l’échec social et professionnel. Leurs histoires ou même leurs noms ont rarement été retenus par les historiens ou connus à large échelle. Seules leurs famille et amis en gardent les stigmates des générations après.

La télévision puis les réseaux sociaux ont servi à diaboliser des personnes désignées, et aussi étonnant que ça puisse paraitre, les mêmes instincts qui ont poussé jadis les villageois à lyncher « la sorcière » se mettaient à nouveau en branle, cette fois à renforts de commentaires engagés et d’injures, de partages des informations fausses et de « Likes » encourageants, afin de détruire la victime moralement, financièrement, socialement, et parfois même physiquement en s’en prenant à elle, sa famille ou ses biens.

Dans les sociétés modernes, les lois ont été rédigées et implémentées pour éviter le lynchage d’un accusé : Tout accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire, et son jugement est fait à travers un tribunal lui garantissant le droit à sa défense et l’impartialité du gugement, ce qui va à l’encontre de la justice populaire, qui sous le couvert de bonnes intentions sert bien souvent les dessins d’individus malveillants qui instrumentalisent la foule pour servir leurs fins.

La justice populaire est également aveugle et excessive car dictée par l’effet des préjugés ou histoires personnels : les individus interprètent les faits et dires non vérifiés et servis par les instigateurs comme étant des attaques personnelles dirigées contre eux même et s’en contentent pour juger de la culpabilité de l’accusé et passer à la sanction.

De plus sous couvert de faire le bien et de défendre la communauté, des motivations sombres peuvent être derrière la participation active dans le lynchage :  Sur plusieurs affaires de ce type les investigations ont prouvé après les faits, que des conflits sous-jacents au sujet de la propriété des terres, des rivalités amoureuses, ou encore l’intimidation et la peur d’être pris soi-même pour cible, ont poussé des citoyens ordinaires et respectables à prendre le parti de l’agresseur et porter la main à sa place sur la victime.

La rumeur à l’origine du lynchage

Mehdi Moussaid, chercheur en sciences cognitives de la science de comportement des foules « Fouloscopie », a rédigé une analyse très instructive sur le mécanisme de propagation des fausses informations.

Dans cette analyse il cite une étude faite en 2018 par Sinan Aral, économiste et expert en « Marketing Viral » au Massachusets institute of technology avec son équipe, suite à laquelle il a conclu que les informations fausses se propagent environ 6 fois plus rapidement que les vraies et circulent pendant des durées plus longues.

Le chercheur Mehdi Moussaid explique que dans l’ère d’internet et des réseaux sociaux, ou les fausses informations se propagent littéralement à la vitesse de la lumière, nous entrons de plain-pied dans l’ère des fausses informations.

En effet, en quelques heures de larges populations sont dupées par une annonce fracassante, provenant soi-disant d’une source sure, appuyés par des pseudos-preuves irréfutables et annoncée par des termes alarmistes et attractifs.

La succession de transmission de la rumeur est appelé par les chercheurs une « cascade ».

Une « cascade » peut avoir une structure horizontale, c’est-à-dire que la propagation de l’information s’effectue par un grand nombre de personnes directement connectées à l’initiateur de l’information, mais peu par les contacts de ces personnes.

Une « cascade » peut sinon avoir une structure verticale, l’information circule par transmission successive, c’est à dire à travers des personnes sans lien direct avec l’émetteur de l’information, puis à nouveau à travers les contacts et relations de ces personnes.

Selon l’étude de Sinan Aral, les « cascades » des fausses informations ont des structures plus verticales qu’horizontales.

Mais peut-on nous en tant que spectateurs récepteurs de la rumeur, lier véracité de l’information à la structure de la « cascade » ??

Souroush Vosoughi, professeur assistant au Darmouth College et chercheur associé à l’université Harvard avait élaboré et publié en 2017 l’algorithme Rumor Gauge (détecteur de fausses informations).

Ce professeur avait évalué avec un taux de succès de 75% la véracité des informations en observant la façon dont celles-ci se diffusent sur le réseau.

Fort de ce résultat, on pourrait donc avec une bonne chance de succès, deviner si l’information propagée est plus probablement fausse que vraie, rien qu’à l’observation de la façon de sa propagation.

Mais d’où viennent les fausses informations ? qui en bénéficie ? Souvent elles sont initiées par un individu malveillant cherchant la richesse ou la notoriété ou ayant l’intention de nuire à une personne ou à un organisme.

Souvent ces fausses informations sont basées sur la déformation progressive intentionnelle ou non d’une information qui était initialement tout à fait exacte.

Pour vous en assurer faite le test avec vos amis ou enfants, racontez-leur une histoire, qu’ils devront transmettre de bouche à oreille. Au bout de la chaine de communication, l’histoire racontée est bien souvent différente de l’originale.

Entre ce que vous voulez dire, ce que vous dites réellement, ce que vous pensez avoir dit, ce que l’autre entend, ce qu’il pense avoir entendu et ce qu’il souhaiterait avoir entendu, il existe de multiples nuances et différences, qui au bout de la chaine de communication à chainons multiples, se cumulent et donne un résultat biaisé et déformé.

Une expérience en 2015 a été conduite par le chercheur Mehdi Moussaid, Henry Brighton et Wolfgang Gaissmaire, deux collègues à l’institut Max-Plauck pour le développement humain à Berlin.

Dans cette expérience, un sujet de controverse a été utilisé pour vérifier la véracité de l’information transmise à la fin d’une chaine de communication de bouche à oreille, en voici le déroulé :

Le 1 er participant avait été exposé à 6 documents preuves, ce maillon de la chaine a du ensuite communiquer ces informations au participant suivant, qui lui n’a pas eu accès aux 6 documents initiaux, et ainsi de suite jusqu’à la 10ème personne dernier maillon de la chaine. Cette expérience a été répétée une 15ène de fois.

Le premier enseignement qui est ressorti de cette étude est que l’information se déforme à toute vitesse (après seulement 3 transmissions), 52% des informations communiquées par le premier maillon avaient déjà disparues et les éléments restants étaient fortement déformés.

La distorsion de l’information était biaisée par les préjugés initiaux des participants sur le sujet, et cette distorsion était encore plus accentuée lorsque les maillons de la chaine partageaient les mêmes préjugés.

Progressivement les informations contradictoires aux préjugés disparaissaient tandis que celles concordant avec l’avis des participants étaient amplifiées.

 

Que faire face à une rumeur ?

Tout bon citoyen devrait se renseigner sur les lois en vigueur dans son pays de résidence, ses droits et devoirs en matière de diffamation. Ça implique par exemple de savoir qu’au Canada, s’attaquer à une personne directement ou par personne interposée est illégal, que l’association dans l’action de nuire est encore plus grave car l’effet engendré est plus grand et plus critique pour la victime.

Par conséquent, il est impératif de se dissocier de tout groupe ou individu qui lance des rumeurs visant à diffamer une personne, de ne jamais partager le contenu des rumeurs ni encourager la diffamation par sa présence dans l’audience des « Lives » controversés, de ne pas s’impliquer en émettant des commentaires haineux ou portant préjudice à la victime. Car la loi est claire et quiconque d’engage sur cette voie pourrait être également responsable devant la justice au même titre que l’émetteur de la diffamation.

Soutenir la victime publiquement, condamner et rejeter en tant que communauté l’agression enclenchée, car l’indivision profite à l’agresseur et demain n’importe qui pourrait se retrouver dans la même situation, isolé et démuni. Ne jamais blâmer la victime, car malgré tout ce qu’un agresseur avance comme argument et preuves pour justifier la légitimité de son attaque, il n’a aucun droit de se substituer à la fois à la police, procureur, avocat, juge, geôlier, tortionnaire et prêtre.

Et si on est intimidé ou avons peur de l’agresseur, soutenir la victime en secret pourrait être salvateur pour elle, car dans la balance du bien contre le mal, chaque once est précieuse et fait pencher la balance.

Mais que faire si l’on est soi-même victime de diffamation : dans ce cas-là, il ne faut jamais répondre directement aux attaques car toute réponse négative pourrait potentiellement peser dans la balance du jugement face aux diffamateurs. D’ailleurs ces derniers s’emploient par tous les moyens à provoquer une réaction hostile ou émotive de la victime pour s’en servir contre elle : Tout comme la sorcière au moyen âge si elle avoue sous la torture, elle est coupable si elle résiste à la torture et se défend alors elle est également coupable.

La meilleure approche serait de s’adresser à la police et au tribunal, les seuls habilités à appliquer la loi et rendre justice aux personnes souffrant de préjudice de ces agresseurs.

La victime doit rester forte face à la marée des attaques, comprendre les raisons du phénomène et les dissocier de sa personne. Elle doit s’ouvrir et chercher du réconfort auprès de sa famille et amis, continuer à communiquer positivement, s’occuper à faire les choses qu’elle aime, s’éloigner des personnes négatives et couper court aux sources lui causant un stress émotionnel, le temps que la justice suive son court.

Le combat pour la vérité est une lutte incessante contre le feu du bucher, et seules les actions positives sont capables d’éteindre le brasier allumé de toutes parts.

Comme en toute guerre celui qui gagne est celui qui résiste le plus.

Par : M.A

 

Références :

 

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